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Arriver à passer la Consigne ?

Avant même la découverte en 1546 de la notion de contagion dans les maladies épidémiques par Jérôme Fracastor et très vite après l'inauguration de la Sanita en 1486 par la république de Venise, vite suivie par Gênes, Marseille avait été la troisième à se doter d'un service de Santé maritime.

Le lazaret, d'abord bâti en 1526 pour la quarantaine des personnes, y fut établi à distance considérée alors suffisante, à Saint Martin d'Arenc en 1663.

Historiquement, tout une série de plans a échelonné les projets de développement portuaire et sanitaire de Marseille pour déplacer les installations quarantenaires continentales qui avaient dramatiquement fait la preuve de leur inefficacité lors de la grande peste de 1720, sur ces îles à la fois proches et assez hospitalières pour avoir vocation d'isolement quarantenaire.

Mais même au delà du cap Croisette, les îles de Jarre et Plane, peu accessibles, ont été utilisées aussi à des fins quarantenaires jusqu'au XVIIIème siècle, et le Grand Saint Antoine y a été incendié et coulé en 1720.

Sur l'île de Pomègues, la calanque de l'Infirmerie (le port de Pomègues), servira depuis 1627, pour la quarantaine des navires suspects, ou en défaut de patente nette. Un petit îlot , séparé par un chenal d'une cinquantaine de mètres, fut relié par une digue en 1767, pour agrandir ce havre, mais à partir de 1800, l'augmentation du trafic maritime amenait à assigner plus de 500 navires par an à quarantaine, ce qui avait rendu le port de Pomègues, tout à fait insuffisant. Aussi, la construction en 1827 du port Dieudonné, dirigée par l'Ingénieur Garella, abrité derrière la digue de Berry, longue de 361m, reliant les deux îles du Frioul, Pomègues et Ratonneau, sera tout à fait nécessaire, avec l'inquiétante apparition en 1820, de la fièvre jaune.

Le port sera achevé avec la construction par Toussaint, le successeur de Garella, d'une digue Est, de 311 mètres, qui abritera alors 16 ha de plan d'eau de façon sûre en 1844, dégageant les vues d'un développement plus sanitaire que militaire de l'archipel, avec une possibilité d'accueil qui culminera à 1235 passagers, soit 805 quarantenaires, et 430 malades, dans les installations les plus vastes et les meilleures sinon les plus accomplies de la Méditerranée .

Les plans de construction et d'extension successifs pour différents espaces de ces îles n'en finiront pas, mais simultanément, représentant la réalisation caractéristique d'une étape seulement de ces plans, en 1821, est décidée la construction de l'hôpital Caroline, infirmerie pour les malades atteints de la fièvre jaune, confiée à l'architecte du département des Bouches-du-Rhône, de la ville de Marseille et de la santé, Michel Raymond Penchaud.

Le projet prévu pour 200 malades et 60 convalescents, va être interrompu plusieurs fois, et révisé pour un plus modeste ne concernant cette fois que 48 malades et 24 convalescents, avec de nouveaux plans.

Au final, entouré du mur continu officiel (entourant usuellement la maladie, la folie, le délit, l'aguerri, l'amoindri, le recueilli, ou l'amorti, et bâti ici par le Génie), sur un plan carré, de 190 mètres de coté, flanqué de deux arrondis dont un au sud, centré autour de la chapelle, l'hôpital Caroline est construit, au bout d'une route cahoteuse mais carrossable, allant du port au plateau nord de Ratonneau, "sous le vent du nord-ouest, le plus favorable de tous pour la guérison des malades ", c'est à dire au mistral, avec aussi une desserte maritime directe par trois calanques, Saint-Estève, l'Eoube et Ratonneau...

Achevé en 1828, le bâtiment ne répondit pas véritablement à sa destination prévue, semble-t-il, à part en 1837 et en 1841, où il accueillit des militaires malades évacués d'Afrique, et connut un sort plutôt difficile sinon misérable, son exposition à tous les vents le rendant très vulnérable aux intempéries.

Deux ans seulement après son achèvement, en 1830, les dégâts causés aux toitures menuiseries, ferronneries, descentes des eaux, canalisations et citernes, sont déjà si importants et pas effectués, que le bâtiment risque le délabrement.

Tout ceci n'était pas le seul fait du hasard, ou de quelque obscure malfaçon, mais se reliait aux théories en vogue sur la surveillance, le contrôle et l'évolution des malades ou des prisonniers, en référence aux théories panoptiques de Bentham. La construction des lazarets, n'était pas très différente de celle des prisons, avec une séparation des circuits des malades, des convalescents, des personnels soignant et administratif très raffinée, en un temps où les murs permettaient mieux de contenir les troubles de l'ordre public de la cité, que tout autre médicament à l'époque. (et donc d'y remettre de l'ordre, supposément , que l'origine en soit la maladie contagieuse, la folie, la délinquance, la guerre, la naissance ou la mort)

Peu utilisées, peu fonctionnelles, elles continueront à subir une dévastation accélérée encore par le vent de l'histoire, et les errements de desseins insulaires pas tous velléitaires, asilaires, militaires et sanitaires, d'exclusion et de réclusion... avec un bombardement qui touchera Caroline, lors de la libération de Marseille en 1944, à la suite des tirs d'obus de la batterie de marine du Frioul tombés sur la colline de Notre Dame de la Garde...( mais il restera, bien après la deuxième guerre mondiale, jusqu'à sa destruction par incendie, seulement vers 1990, séquelle rouillée des heures grises de l'Occupation, un mirador pas vraiment couleur de mur, surplombant le lazaret proche de la digue Est du port Dieudonné, témoignage des possibilités de leur utilisation pénitentiaire et concentrationnaire déjà initiée lors de la première guerre mondiale, réactualisée pendant la seconde avec un véritable camp de prisonniers... (mais, semble-t-il, sans relation avec les rafles effectuées lors la destruction du Panier en janvier 1943, présentées officiellement comme épuration nécessitée par l'insalubrité et le banditisme) aboutissant à la désolation actuelle, dont des efforts de réhabilitation pourtant persévérants essaient de tirer de la ruine des portions significatives, depuis 1978.

Mais dans les années suivantes, la première grande toiture rénovée s'envolera avec un gros coup de mistral, et pas mal d'illusions...

Le passage de Caroline à Ratonneau et retour, témoigne, outre l'érosion rendant illisible la plaque inaugurale au fronton de l'hôpital, que même son nom aura du mal à se maintenir, pouvant passer autant pour conséquence d'une fin précipitée de la restauration, que pour trace du ravage des abandons successifs et des changements de direction ou d'affectation qui ont aussi poussé des objets, par un déplacement ou une relégation vers une autre quarantaine, à l'abri des vents ou des courants, de pensée au moins.

Un siècle et demi après, on peut encore constater que le bâtiment a été construit sur un important vide sanitaire, avec des conceptions architecturales qui étaient dans le vent à l'époque, et qui, lui, est resté physiquement inchangé aujourd'hui, avec une telle intensité que le bâtiment a bien du mal à y résister avec le temps. Sans doute, les patients et encore plus le personnel de la quarantaine a-t-il eu des difficultés à y résister aussi.

Ce n'est pas tant de ses imperfections que cet ensemble architectural hospitalier a souffert, que de la mise en application frisant la perfection quasi utopique de ces théories fondées sur du vent pour l'efficacité du soin des gens : situation et ouvertures des vastes cages d'escalier- ventilateur où la spirale du limon était disposée pour favoriser un tourbillon ascendant, ou combles largement ouverts en séchoirs à linge.

La qualité monumentale très académique du dessin des constructions sanitaires quasi militaires, assortie au relief rocheux aride et désert, bannit toute intimité possible, et ajoute l'aspect impersonnel grandiose de la ruine à cette avant dernière extrémité de la solitude, isolat centré sur une chapelle... un poste-frontière de ce monde avec un au-delà pas seulement terrestre ou marin, poste avancé dans ce no man's land balayé par le vent de l'histoire, la poursuite du chemin vers le cimetière et la pointe révèle un panorama à faire tourner la tête, à défaut de couper le souffle...


          (suite et fin de cette note sous l'image suivante)